Déclinaison du projet Radiorama, la Veillée Radiorama convie à l’écoute collective, autour d’une de nos stations météo-radiophoniques, d’un texte de littérature romanesque assorti au paysage dans lequel vient s’inscrire la lecture.
Porté par deux comédiens et un musicien, l’expérience se veut tout à la fois conviviale et immersive, et, en offrant une porosité entre réel et fiction, invite à un regard nouveau sur l’environnement qui nous entoure.
Dans le cadre des Belles Escapades de Scènes de Territoire (Bressuire), la compagnie Le Théâtre dans la Forêt a proposé une première veillée radiophonique à l’orée du bois de La Poraire à Chiché, lors de laquelle nous avons donné à entendre une traversée immersive de Colline de Jean Giono. Cette veillée est adaptable à tout site extérieur naturel.
Premier roman de la trilogie de Pan, Colline dépeint l’émergence d’un combat sourd et
puissant entre les êtres et leur environnement.
Texte poétique, vibrant et teinté d’un ésotérisme troublant, Colline donne à voir la vie d’un hameau bientôt perturbée par l’apparition, inexpliquée et récurrente, de phénomènes menaçants.
Mettant en scène des personnages aux prises avec une nature qui reprend ses droits, Jean Giono donne à entendre une inquiétude, et questionne la légitimité des humains à investir comme ils le font un milieu naturel pour s’en faire les maîtres.
La tension entre les personnages d’Alexandre Jaume et de Janet, qui irrigue tout le roman,
incarne une dualité aux enjeux atemporels, qui viendra se résoudre en un épilogue ambigu et non dénué de cruauté.
Entre-temps, le lecteur aura, aux côtés des personnages, contemplé des forêts, traversé des
rivières, écouté le chant du vent - la sensation se faisant, tout particulièrement dans ce roman,
porteuse des signes d’une catastrophe annoncée. Immergés, nous sommes pris à partie, interrogés, emportés dans le flot de cette bataille qui ne dit jamais tout à fait son nom.
Grand roman de l’invisible, Colline résonne aujourd’hui comme un appel au retour à l’essence de toute chose et à l’écoute du vivant.
Dans un écrin de verdure, guidés par les voix de deux comédiens, et accueillis au sein d’un dispositif sonore immersif dans lequel des sources de son multiples sont disposées parmi le public et autour de lui, les spectateurs sont conviés à vivre une expérience de contemplation originale, et à considérer sous un jour nouveau un paysage naturel à la lumière d’un récit dans lequel l’environnement tient le rôle principal.
Aborder le roman de Jean Giono sous la forme d’une veillée radiophonique est en effet
l’occasion de proposer à chaque spectateur de se faire le protagoniste du récit, et de mettre
très concrètement à l’honneur les sensations à l’œuvre dans le combat qu’il nous raconte - dans une expérience sensorielle où l’écoute et l’observation du paysage font partie intégrante de la représentation.
C’est aussi la possibilité de faire du site naturel dans lequel la représentation se déroule, le décor réinventé du roman.
Enfin, la forme de la veillée convoque un temps de partage au cœur de l’œuvre de Jean Giono.
Expérience vécue ensemble, elle nous invite tout autant à reconsidérer notre environnement qu’à nous reconsidérer les uns les autres - et à « entendre », comme les personnages du roman cherchent à le faire. Entendre ce qui nous entoure, qui ne se voit pas, se devine, et semble vivre au-delà du monde sensible.
Sieste.
L’air plein de mouches grince comme un fruit vert qu’on coupe. Gondran collé à la terre dort de tout son poids.
Il se réveille d’un bloc. Du même élan tranquille il plonge dans le sommeil puis il émerge.
D’un coup de reins il est debout.
En cherchant sa bêche il rencontre le visage de la terre. Pourquoi, aujourd’hui, cette inquiétude qui est en lui ?
L’herbe tressaille. Sous le groussan jaune tremble le long corps musculeux d’un lézard surpris qui fait tête au bruit de la bêche.
– Ah, l’enfant de pute.
La bête s’avance par bonds brusques, comme une pierre verte qui ricoche. Elle s’immobilise, les jambes arquées ; la braise de sa gueule souffle et crachote.
D’un coup, Gondran est un bloc de force. La puissance gonfle ses bras, s’entasse dans les larges mains sur le manche de la bêche. Le bois en tremble.
Il veut être la bête maîtresse ; celle qui tue.
Son souffle flotte comme un fil entre ses lèvres.
Le lézard s’approche.
Un éclair, la bêche s’abat.
Il s’acharne, à coups de talon sur les tronçons qui se tordent.
Maintenant ce n’est plus qu’une poignée de boue qui frémit. Là, le sang plus épais rougit la terre.
C’était la tête aux yeux d’or ; la languette, comme une petite feuille rose, tremble encore dans la douleur inconsciente des nerfs écrasés. Une patte aux petits doigts emboulés se crispe dans la terre.
Gondran se redresse ; il y a du sang sur le tranchant de son outil. Sa large haleine coule, ronde et pleine ; sa colère se dissout dans une profonde aspiration d’air bleu.
Subitement il a honte. Avec son pied il pousse de la terre sur le lézard mort.
Voilà le vent qui court.
Les arbres se concertent à voix basse.
Le chien n’est plus là ; il a dû partir sur la quête de quelque sauvagine.
Sans savoir pourquoi, Gondran est mal à l’aise ; il n’est pas malade ; il est inquiet et cette inquiétude est dans sa gorge comme une pierre.
14 juin - Parc de la Poraire, Chiché (79)
Représentation proposée dans le cadre des Belles Escapades de Scènes de Territoire (Bressuire)
D’après Colline, de Jean Giono
Mise en scène et adaptation : Emilie Le Borgne
Interprétation : François Martel et Emilie Le Borgne
Avec la participation de Christian Caro
Création sonore : François Ripoche
Régie technique : Michel Canuel
Conception plastique des stations Radiorama
Emma Pinoteau et Axel Amiaud
Scènes de Territoire, Bressuire (Scène conventionnée Art en territoire)
Drac Nouvelle Aquitaine